Projections du monde

Quand on regarde une carte mondiale, il n’est pas toujours simple d’identifier la projection utilisée. Bon ici, on comprend assez vite qu’il ne s’agit pas de la vieille Mercator !

Mais si l’on n’est pas sino-centrique, quel pourrait être le meilleur choix ?

À regarder ce qui se publie en ligne (atlas, journaux, sites cartographes), les plus fréquentes sont :

  • Robinson,
  • Winkel III,
  • Gall-Peters,
  • Natural Earth (II),
  • et en France, Bertin (1953).

Essayons de comprendre le contexte d’apparition de chacune, leurs forces et leurs faiblesses.

L’américain Arthur Robinson pose en 1963 une démarche originale. Il explique : « I started with a kind of artistic approach. I visualized the best-looking shapes and sizes. » Il plie ensuite les mathématiques à sa vision, cherchant les formules lui permettant de la reproduire. Sa projection, dont la définition est publiée en 1974, se veut un bon compromis, offrant une image du monde agréable.

Projection de Robinson
Projection de Robinson

Elle élimine le fameux Greenland problem, anomalie qui présente chez Mercator cette île de la même superficie que l’Afrique (alors qu’elle n’en fait que le 1/14ème). La National Geographic Society se met à utiliser, en 1988, la Robinson projection et contribue à la légitimer.

Mais en 1998, la NGS lui préfère et sort ainsi de l’ombre une projection plus ancienne, la Winkel Tripel, crée par Oscar Winkel en 1923. Elle traite un peu mieux les latitudes extrêmes et donne à la carte un aspect plus sphérique, les parallèles n’étant plus tous horizontaux. Elle cherche à minimiser 3 distorsions : de surface, de direction et de distance, ce à quoi fait référence le terme allemand Tripel.

Projection Winkel-Tripel
Projection Winkel-Tripel

A la même époque que Robinson, l’allemand Arno Peters, historien et réalisateur, déclenche en 1973 une tempête politico-cartographique avec ce qu’il affirme être « the most accurate representation of the world », une projection parée de toutes les qualités, préservant les surfaces.

Projection de Gall–Peters
Projection de Gall–Peters

Peters dénonce avec force le biais de la projection de Mercator et ses utilisateurs : « Elle surévalue l’homme blanc et déforme l’image du monde au profit des maîtres coloniaux de l’époque ». Peters veut redonner au tiers monde sa véritable importance, avec sa superficie réelle.

Il séduit l’Unicef, l’Unesco, des mouvements tiers-mondistes voulant présenter une vision démographique et sociale du monde plus équitable. Mais les cartographes académiques l’attaquent avec une rare violence, cherchant même à bloquer la parution du Peters Atlas of the World, 1991.

On lui reproche :

  • d’avoir fait des erreurs de calcul, de prétendre à tort qu’elle respecte exactement les surfaces,
  • d’avoir plagié l’écossais James Gall (1855), d’où la dénomination « Gall-Peters » désormais retenue pour cette projection,
  • de délivrer une représentation « laide » et trompeuse.

Robinson va jusqu’à cingler : « La carte de Peters est une attaque astucieuse, astucieusement trompeuse contre la cartographie. Les masses terrestres font quelque peu penser à des sous-vêtements d’hiver longs, mouillés et déchiquetés, accrochés pour sécher sur le cercle arctique ».

Ce débat est toujours d’actualité. En 2017 les écoles publiques de Boston remplacent toutes leurs cartes du monde par celle de Peters, ravivant la polémique antérieure.

En réponse à cette controverse rallumée, Patterson, Jenny et Šavrič se mettent en quête d’un compromis capable de satisfaire l’aspiration esthétique de Robinson et la préservation des surfaces chère à Peters. Ils mettent au point une nouvelle projection baptisée Equal Earth.

Projection Equal Earth
Projection Equal Earth

La carte murale Equal Earth réalisée par Tom Patterson en 2018 est une magnifique illustration de ce travail. Elle est librement téléchargeable et représente une merveille de traitement sémiologique, comme le décrit Laurent Jégou dans l’article ci-dessous.

J’aimerais bien dénicher une belle impression de cette carte murale !

Patterson et ses collègues sont aussi connus pour avoir conçu la projection Natural Earth (et sa variante II en 2015). A l’instar d’Arthur Robinson, ils sont partis d’une démarche visuelle, avec un outil interactif qu’ils ont mis au point, Flex Projector. Natural Earth est l’une des projections du monde les plus populaires, d’après un panel de près de 500 cartographes interrogés par Patterson en 2016.

patterson_survey

L’anglais Danny Dorling, connu pour ses cartogrammes, propose une réponse originale à la recherche de la représentation fidèle des superficies. Ce n’est pas une projection, mais la simple application de son algorithme d’anamorphose à la variable « surface » : brilliant !

Cf. The atlas of the real world.

The Atlas of the real world - Land area
The Atlas of the real world - Land area

Un Français ne saurait terminer cette présentation sans évoquer la création originale de Jacques Bertin, cette projection de 1953 est présentée ici. Elle a le mérite de préserver à peu près les surfaces, sans pour autant trop déformer les pays. Elle présente une faible distortion au pôle nord, zone stratégique pour les cartes géopolitiques. Elle est devenue populaire chez les cartographes français, grâce au travail de Philippe Rivière et son intégration dans l’outil Magrit de l’UMS_RIATE.

projection bertin
projection Bertin 1953

Voici un site bien pratique pour visualiser des projections et les comparer visuellement : https://map-projections.net/compare.php?p1=equalearth&p2=robinson&sps=1

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