Qu’est-ce qui retient notre attention ? Dans le flot d’informations dans lequel nous baignons en permanence, il arrive que quelque chose accroche notre regard. C’est le eye catching content, le graal que recherche toute personne souhaitant communiquer.
Je reçois chaque jour des dizaines de courriels, que je ne peux pas tous lire. Dans ce flot, un titre a capté mon attention, il y a quelques jours : walking or cycling 30 minutes per day. Dans mon filtre personnel, les mots-clés walk ou marche sont très réactifs. Cela m’a conduite à cette image :
Une carte statistique qui parle de marche, cela ne pouvait pas m’échapper ! Cette image, indéniablement accrocheuse, m’a sauté aux yeux, avec ses couleurs très brillantes, jaune radieux, vert éclatant, rouge lumineux.
Le message de cette carte est loin d’être aussi brillant que ses couleurs ! D’ailleurs, le commentaire qui accompagne la carte souligne : « si le pourcentage est très variable d’un pays à l’autre, dans aucun pays une majorité de personnes ne se déplace à pied ou à vélo au moins une demi-heure par jour ». Pour l’ensemble des 27 pays pris en compte, moins de 2 personnes sur 10 atteignent cette durée ! Et pendant ce temps-là, les maladies chroniques de tout type prolifèrent…
J’aurais imaginé trouver un autre contraste entre les pays du nord et du sud, ces derniers bénéficiant d’un climat plus clément. Les aléas de la météo ne sont apparemment pas un frein pour les piétons et les cyclistes. Les pays avec les pourcentages les moins bas sont aussi les pays de faible superficie.
Cela a éveillé ma curiosité : j’ai eu envie de creuser le sujet, d’abord pour trouver une représentation cartographique moins agressive pour mes yeux, ensuite pour remonter à la source des données.
À la source des données
La source des données, c’est évidemment Eurostat. Sa base de données contient des centaines d’indicateurs, rigoureusement classés dans une arborescence détaillée. Celui que je cherche se trouve logiquement dans Santé > Déterminants de santé > Activité physique.
L’explorateur de données d’Eurostat, Data Browser pour les intimes, permet de visualiser ces données sous plusieurs formes. La première est un tableau statistique de 27 lignes : une par pays, une de moins depuis que le Royaume-Uni vogue de son côté.Sa base
Le tableau comprend plus de colonnes que j’imaginais, puisque l’indicateur en question se décline selon 3 critères : sexe, âge et niveau de formation. Cela valait la peine de creuser le sujet ! L’explorateur de données offre aussi des possibilités de datavisualisations : diagrammes et cartes. Pas de courbes d’évolution possibles ici, car l’indicateur n’est disponible que pour l’année 2019. Voici la carte que j’obtiens pour l’indicateur global Marcher et faire du vélo au moins 30 minutes par jour :
La palette de couleurs est nettement moins agressive que pour la première : je préfère. L’adage dit « des gouts et des couleurs, on ne discute pas. » Il convient toutefois de trouver un équilibre : de la couleur oui, mais pas trop !
La carte est dépouillée de la surcharge des chiffres : plus reposant et plus lisible. Les valeurs se retrouvent indiquées au survol de chaque pays : une ébauche d’interactivité très utile. L’image est également allégée du palmarès illustré avec les drapeaux des pays cités : une surcharge visuelle qui détournait de l’essentiel.
La légende est curieusement positionnée, avec toujours un découpage en 6 classes, mais selon une discrétisation moins adaptée : elle ne met pas en évidence l’écart entre les Pays Bas (44 %) et les pays suivants (autour de 20 %). Dans cet export au format png, la carte ne comporte pas de titre, ni de rappel du nom de l’indicateur (ce dernier est présent en dessous de la carte dans l’export au format pdf).
Plus actifs (ou moins inactifs) :
les hommes ou les femmes ?
Maintenant que j’ai découvert que l’indicateur auquel je m’intéresse se décline selon d’autres critères, je suis curieuse de voir quelles informations supplémentaires cela apporte. Par exemple, existe-t-il des différences notables entre les hommes et les femmes ?
L’explorateur de données d’Eurostat me permet d’obtenir une carte pour chaque colonne du tableau de données, en particulier, une pour les hommes et une pour les femmes. Sauf que, pour chaque carte, la discrétisation est recalculée automatiquement et elle est chaque fois différente. Les cartes ne sont donc pas comparables entre elles.
Il y a quelques années, j’aurais tout naturellement utilisé une application fonctionnant avec Géoclip pour créer les cartes de mon choix. Aujourd’hui, je m’en vais explorer d’autres outils de cartographie thématique en ligne. Voyons par exemple ce qu’il est possible de construire avec Khartis, l’outil de création de cartes thématiques proposé par l’Atelier cartographique de Sciences Po.
Dans le Data Browser d’Eurostat, j’exporte très simplement la table de données dont j’ai besoin. Après un petit détour par un tableur, j’importe cette table dans Khartis, d’un rapide copier-coller. La Tchéquie se convertit aisément en République tchèque pour établir la jointure avec les 27 pays du fond de carte.
Reste le paramétrage de la visualisation qui demande plus de soin. Je choisis le même découpage en tranches de valeurs pour les 2 cartes hommes et femmes, afin d’obtenir deux représentations cartographiques comparables.
Pour finir, l’export est possible dans plusieurs formats : png ou svg. Le format svg est très pratique, car plus facilement modifiable pour une personnalisation plus poussée.
Le résultat obtenu en png convient déjà très bien. Khartis propose un joli choix de palettes de couleurs pour les dégradés : bien contrastées, sans être trop agressives.
Il y a beaucoup d’éléments personnalisables : titre, position de la légende, dimensions, couleur des éléments d’habillage, ajout d’étiquettes…
Pour finir, il est possible de sauvegarder le projet, pour le conserver ou le transmettre à une autre personne. Je n’ai pas testé cette possibilité, mais c’est une bonne idée.
Voilà les 2 cartes que j’obtiens, avec les femmes à gauche et les hommes à droite :
Les pays les plus foncés et les plus clairs restent à peu près les mêmes. Les hommes sont (un peu) plus actifs que les femmes. Apparaissent toutefois quelques différences selon les pays. Cependant, les cartes thématiques ne sont pas les mieux à même de les faire ressortir.
Je fais donc appel à mon conseiller en datavisualisation préféré. Il me suggère un outil dont il est fan : Datawrapper. L’objectif annoncé dès la page d’accueil : No code or design skills required. Là encore, un copier-coller de la table de données, quelques réglages pour choisir les paramètres, dans un cadre bien guidé. Et hop, un graphique en barres horizontales, qui montre mieux les différences :
Ce graphique met en évidence que les pays où les femmes sont proportionnellement les plus nombreuses à se déplacer à pied ou à vélo sont aussi les pays où les femmes devancent les hommes dans cette pratique. Bravo et merci à ces 3 pays, Pays-Bas, Danemark, Finlande. Je n’ai jamais eu l’occasion d’y voyager. Je sais cependant qu’ils sont connus pour disposer d’aménagements confortables, qui encouragent et facilitent les modes actifs de déplacement.
Ce n’est pas une découverte, la cartographie thématique est un moyen puissant de « faire parler les données ». Pourtant, un graphique tout simple permet parfois une lecture plus directe et efficace. C’est ce qui ressort régulièrement des exemples que choisit Éric dans ses interventions, en formation, en conférence ou en accompagnement. Certes, il existe des outils pour créer facilement des cartes et des graphiques. Pour éviter de tomber dans le piège de produire des images aussi multicolores que des perroquets, mieux vaut connaître les fondamentaux de sémiologie graphique.